Dr W. Lindemann : Le logiciel métier du généraliste : état et potentiel
État des lieux de l’utilisation et de l’impact des logiciels utilisables par le généraliste sur la qualité des soins ainsi que leur potentiel
Résumé d’une conférence donnée à la journée « L’informatique au service du médecin généraliste » organisée par l’Association Française d’Informatique Médicale (AIM) le 17. 5. 2017 à Paris.
L’ordinateur change profondément notre pratique
L’ordinateur s’est glissé dans nos cabinets et change tous les aspects de notre pratique, dont en premier lieu la relation médecin – patient qui a pris la forme d’une triangulation « médecin – ordinateur – patient ». Le logiciel médical réclame bien souvent plus d’attention que notre patient [Saleem 2014] et rend la consultation encore plus complexe, à cause de la masse d’informations disponibles [Ariza 2015].
À travers l’ordinateur, l’Assurance maladie nous confie également plus de tâches administratives, lors d’une consultation dont la durée reste égale.
Mais sert-il à quelque chose ?
On incite à l’informatisation du cabinet mais son impact sur la pratique est loin d’être significatif voire prouvé [Lau 2012]. Les quelques études qui évaluent les fonctionnalités des logiciels médicaux trouvent qu’ils sont une simulation électronique d’un dossier papier : tout ce qui va dans le sens du support à la décision ou de la décharge des tâches répétitives et automatisables est encore à son stade initial [Darmon 2014, Naulin 2010]. L’ordinateur peut éviter des erreurs [Seidling 2016] et on met beaucoup d’espoir et d’incitation financière dans l’aide à la décision par des alertes automatiques lors de la prescription. Cela se traduit en réalité par un déluge d’alertes et de messages de précaution maintes fois décrits et décriés dans la littérature [à titre d’exemple : Sittig 2015]. Ces alertes, faites mécaniquement et sans la moindre considération du profil du patient concerné, sont donc une charge de plus qui distrait l’attention du praticien. D’après la connaissance de l’auteur, il y a dans le monde au total TROIS études qui décrivent comment rendre ces alertes plus pertinentes en prenant en compte les données patient dont le logiciel dispose déjà : deux en milieu hospitalier [Seidling 2014, Czock 2015], et une en médecine générale [Lindemann 2016a], encore en cours. Il n’est donc pas étonnant qu’on trouve un lien entre la maitrise de l’outil informatique et la qualité de vie du médecin [Jones 2013, Lindemann 2016b]. Le nombre croissant de fonctionnalités d’un logiciel peut augmenter le stress professionnel perçu par le médecin utilisateur [Babott 2014, Gregory 2017]. Vu la grave dysfonctionnalité des systèmes dites d’aide à la décision lors de la prescription, il n’est pas étonnant que leur présence soit liée à des taux de burn-out plus élevés [Shanafelt 2016].
Il crée des nouveaux types d’erreur
L’ordinateur n’est pas toujours utile ; sa complexité et son utilisabilité souvent limitée peuvent induire à des nouveaux types d’erreur, par exemple la sélection du faux médicament dans une liste déroulante ou du faux dosage si option dosage par défaut [Brown 2017a].
On est mal préparé à son emploi
Si outre-Rhin des recommandations pour la formation en informatique des étudiants en médecine [Dugas 2012] et même en soins infirmiers [Hübner 2017] existent, il n’y a rien d’analogue dans la douce France. Lors de l’internat en médecine générale, le sujet « informatique du cabinet » brille le plus souvent par son absence, ce qui équivaut, selon le modeste avis de l’auteur, à ne pas enseigner l’emploi du stéthoscope lors du 2e cycle. Très peu de recherches s’intéressent également aux méthodes de formation en informatique médicale [Brown 2017b].
Par conséquent, on ne sait pas en profiter
Les rares études qui évaluent comment les médecins savent utiliser leurs logiciels montrent qu’on ne sait pas les exploiter à leur juste valeur, mais que les formations qui existent (en France depuis 2013) pour les principaux logiciels médicaux font effet [Ancker 2014, Lindemann 2016b]. Pourtant, seulement la connaissance et l’utilisation des fonctionnalités avancées d’un logiciel ont un impact sur la performance d’un cabinet [Raymond 2015].
Et on n’en parle même pas
Il n’y avait pratiquement pas de contributions concernant l’informatique en médecine générale lors des derniers congrès de médecine générale en France (les congrès du CNGE et du CMGF) et leur homologue du monde germanophone (le congrès de la Deutsche Gesellschaft für Allgemeinmedizin) ainsi qu’au congrès d’informatique médicale germanophone (organisé par la Deutsche Gesellschaft für Medizinische Informatik GMDS), sans homologue francophone (hormis celles de l’auteur). Apparemment cela n’intéresse pas les enseignants en médecine générale : l’auteur de ces lignes a proposé deux sujets de thèse en lien avec l’informatique médical au département de médecine générale le plus proche[1], pertinents d’après l’avis des personnes de l’AIM présents lors de la journée, … sans même recevoir une réponse.
Une vision pour l’avenir proche comme pour l’avenir lointain
L’insuffisance des logiciels médicaux actuels est reconnue [Saleem 2014] et on réclame des logiciels d’une nouvelle génération [Saleem 2013, Winter 2017]. L’ordinateur possède un potentiel qui dépasse celui du dossier papier, qu’il est venu remplacer [Price 2013] : depuis des décennies il est bien connu qu’une amélioration significative du taux de vaccination et d’autres actes de prévention est possible par des alertes automatiques [Mitchel 2001], ce qui est démontré également par des études actuelles [Au 2010, Schuler 2016]. En Alsace, l’ADECA, l’association responsable du dépistage du cancer du côlon nous donne, sur papier, un algorithme de décision « coloscopie » ou « hémoccult » (image 1). L’informatique des années 1980 aurait pu le réaliser sur ordinateur. On reconnaît que la prévention est le maillon faible de notre système de santé, il est même techniquement impossible de faire tous les actes de prévention possibles [Bucher 2016] mais personne ne pense à les automatiser grâce à l’ordinateur du cabinet [Tran Phong 2017].
Mais l’ordinateur peut aller bien plus loin : il peut également saisir une bonne partie de l’anamnèse [Anand 2015] – à commencer avec les coordonnées postales et l’état civil du patient, capter ses antécédents et l’interroger sur ses plaintes actuelles. Un jour viendra l’intégration des données génétiques de chaque patient pour une pharmacothérapie personnalisée [Welch 2013, Goldspiel 2014] ... Techniquement réalisable et déjà réalisé en médecine préventive du travail (image 2), sera une sorte de poste médical automatique qui, installé au cabinet médical, effectuera une partie de l’examen physique : poids, taille, pouls, tension artérielle, température, une débimétrie, même un ECG ou une audiométrie. Un tel appareil s’adaptera au patient, en utilisant les technologies de pointe comme la reconnaissance vocale : le résultat sera transmis au dossier électronique et disponible au moment de la consultation, déchargeant ainsi le praticien de 30% ou plus de ses tâches et le libérant ainsi pour l’essentiel : la relation médecin-patient.
Je remercie Mlle Manon WATTIAU étudiante en master 2 de psychologie à Strasbourg pour l’apport de son expertise dans la langue de Molière.
Références de littérature
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Lindemann WB Sur les possibilités de réduction du nombre des alertes automatiques lors de la prescription créées par un logiciel métier. Poster 253 : 16th Congrès annuel du CNGE à Grenoble 11/23/2016. (2016a) Disponible sur researchgate.net « Wolfgang B. Lindemann »
Lindemann WB Sur l’exploitation du logiciel médical et la qualité (de vie) du médecin généraliste. Poster 26: 10th Congrès Médecine Générale France 3/ 31/ 2016 (Paris/France). (2016b). Disponible sur researchgate.net « Wolfgang B. Lindemann »
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Résumé
L’introduction des logiciels médicaux change profondément la pratique du médecin. Il y a une forte incitation à leur utilisation, mais leur impact pour l’amélioration de la pratique n’est pas encore établi, ce qui est partiellement dû à leur état encore très basique. Les médecins sont mal préparés à l’informatisation de leur métier. Il y a très peu de recherche en matière d’exploitation informatique mais des pistes prometteuses existent.
Abstract
The introduction of electronic health records deeply changes every day’s practice of a family physician. There is a strong incitation to use them, but their impact on the improvement of care has not yet been established, which is partially a consequence of the still very basic functionalities. Family physicians are poorly prepared to the transformation of their profession because of informatics. There is very little research on how to better use computers in medicine but there are promising approaches.
Image 1
Image 2 www.ipex5.com
État des lieux de l’utilisation et de l’impact des logiciels utilisables par le généraliste sur la qualité des soins ainsi que leur potentiel
Résumé d’une conférence donnée à la journée « L’informatique au service du médecin généraliste » organisée par l’Association française d’Informatique Médicale (AIM) le 17. 5. 2017 à Paris.
Résumé
L’introduction des logiciels médicaux change profondément la pratique du médecin. Il y a une forte incitation à leur utilisation, mais leur impact pour l’amélioration de la pratique n’est pas encore établi, ce qui est partiellement dû à leur état encore très basique. Les médecins sont mal préparés à l’informatisation de leur métier. Il y a très peu de recherche en matière d’exploitation informatique mais des pistes prometteuses existent.
Abstract
The introduction of electronic health records deeply changes every day’s practice of a family physician. There is a strong incitation to use them, but their impact on the improvement of care has not yet been established, which is partially a consequence of the still very basic functionalities. Family physicians are poorly prepared to the transformation of their profession because of informatics. There is very little research on how to better use computers in medicine but there are promising approaches.
[1] Description détaillée sur www.wolfganglindemann.eu « My research ».
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